Interview de Nohad Azzi, Présidente de Libami Beyrouth.
1. Comment le quartier de Nabaa réagit-il à cette guerre ?
Le quartier de Nabaa est plongé dans une détresse indescriptible. La guerre a non seulement détruit des maisons, mais elle a également brisé des vies et semé une peur constante parmi ses habitants. Le sentiment d’impuissance face à une tragédie qui semble sans fin est omniprésent.
L’arrivée massive de familles déplacées, venant non seulement du Sud, mais aussi des banlieues sud de Beyrouth et du centre de la ville, exacerbe la crise. Ces déplacements soudains ont saturé les ressources locales déjà limitées, aggravant les tensions et rendant la vie encore plus précaire.
À Libami, nous faisons tout notre possible pour alléger cette souffrance. Chaque jour, nous écoutons des récits bouleversants de pertes, de deuils et de douleur, qui nous rappellent l’ampleur des besoins urgents. Mais face à tant de souffrance, nous sommes souvent dépassés.
2. Le mouvement des familles venant du sud doit être problématique au niveau du logement et de l’alimentation. Dites-nous.
Le déplacement des familles depuis ces régions a engendré une crise humanitaire majeure. Ces familles, déracinées, arrivent souvent avec rien d’autre que leurs vêtements sur le dos. Beaucoup ont tout perdu : leur maison, leurs biens, et parfois des proches chers. Les logements disponibles sont surpeuplés, et de nombreuses familles dorment dans des conditions indignes.
Quant à l’alimentation, les ressources sont de plus en plus rares, inaccessibles pour ces familles sans revenu. Les mères pleurent leur incapacité à nourrir leurs enfants, et nous voyons des enfants affamés, désorientés par la brutalité des évènements.
Libami fait tout son possible pour leur venir en aide. Nous distribuons matelas, couvertures et denrées alimentaires de base. Mais chaque geste, aussi essentiel soit-il, nous rappelle l’immensité du défi que nous avons à relever. Voir ces familles dans une telle détresse est bouleversant, et nous souhaiterions pouvoir faire davantage.
3. Comment les enfants réagissent-ils face aux évènements ?
Les enfants sont les témoins silencieux et les victimes les plus vulnérables de cette guerre. Beaucoup ont vu leur maison réduite en cendres, perdu des membres de leur famille ou été arrachés à leur environnement familier. Ces déplacements forcés, qu’ils viennent du Sud, des banlieues sud ou du centre de Beyrouth, ont exacerbé leur désarroi et leur traumatisme.
Ils vivent dans une peur constante, hantés par le bruit des explosions et le chaos qui les entoure. À Libami, nous voyons ces enfants chaque après-midi dans notre centre de soutien scolaire. Certains restent figés, perdus dans leurs pensées, tandis que d’autres éclatent en sanglots dès qu’un bruit suspect retentit. Chaque son de frappe aérienne ravive leur peur et leur angoisse.
Nous faisons de notre mieux pour leur offrir un espace sécurisé, des activités réconfortantes et une oreille attentive. Mais malgré nos efforts, la douleur qu’ils portent est palpable. Leur avenir nous inquiète profondément : si ces enfants ne sont pas soutenus psychologiquement, les séquelles de cette guerre risquent de les marquer à vie.
4. Vous arrivez à vous déplacer dans la ville ?
Les déplacements sont devenus extrêmement risqués et compliqués. Les routes principales sont souvent encombrées, et certaines zones, comme les banlieues sud de Beyrouth, sont totalement inaccessibles à cause des bombardements. Chaque trajet expose notre équipe à des scènes déchirantes : des familles sans abri, des enfants errants, et des parents en larmes, accablés par leur incapacité à protéger leurs proches.
Le danger est omniprésent. Les frappes ne se limitent plus à une région spécifique ; elles peuvent survenir n’importe où, à n’importe quel moment, que ce soit en pleine journée ou au milieu de la nuit. Nous vivons avec une peur constante. Chaque déplacement est une épreuve, et nous ne savons jamais si nous arriverons à destination en sécurité.
Je dois avouer, avec toute l’honnêteté de mon cœur, que cette peur me ronge. La peur de perdre encore plus de vies, la peur de ne pas pouvoir protéger ceux qui comptent sur nous, la peur de voir notre pays sombrer davantage. Mais malgré cette angoisse, nous continuons. Car pour les familles que nous soutenons, notre présence et notre aide sont souvent la seule lueur d’espoir dans un pays plongé dans l’obscurité.